Les États-Unis aiment se considérer comme une république, mais ils détiennent des territoires dans le monde entier. Les USA sont-ils vraiment un empire ?
Le tournant Pearl Harbor
Il n’y a pas beaucoup d’épisodes historiques plus ancrés dans la mémoire nationale des États-Unis que celui de l’attaque de Pearl Harbor. C’est l’un des rares événements dont la date est restée dans les annales : le 7 décembre 1941, « la date qui vivra dans l’infamie », comme le disait Roosevelt. Des centaines de livres ont été écrits à ce sujet, et la Librairie du congrès en possède plus de 350. Hollywood a fait des films à ce sujet, avec bien sûr un côté romancé sans pareil. Mais ce que ces films ne montrent pas, c’est ce qui s’est passé par la suite. Neuf heures après que le Japon a attaqué le territoire d’Hawaï, un autre ensemble d’avions japonais est apparu au-dessus d’un autre territoire américain : les Philippines. Comme à Pearl Harbor, ils ont largué leurs bombes, frappant plusieurs bases aériennes, avec un effet dévastateur.
L’attaque sur Pearl Harbor n’était qu’une attaque militaire. Les bombardiers japonais ont frappé, battu en retraite et ne sont jamais revenus. Ce n’est pas le cas aux Philippines. Là-bas, les premiers raids aériens ont été suivis d’autres raids, puis d’invasions et de conquêtes. Seize millions de Philippins sous « protection » américaine tombèrent sous la coupe d’une puissance étrangère.
Les déclarations de Roosevelt
C’est ainsi que s’est déroulé le premier projet de discours du FDR : il présentait l’événement comme un attentat à la bombe à Hawaï et aux Philippines. Par la suite, Roosevelt a modifié son discours pour effacer toute référence importante aux Philippines. Pourquoi Roosevelt a-t-il rétrogradé ? On ne le sait pas, mais ce n’est pas difficile à deviner. Roosevelt essayait de raconter une histoire claire : le Japon avait attaqué les États-Unis. Mais il a eu un problème. Les cibles du Japon étaient-elles considérées comme faisant partie du territoire américain ? Légalement, c’était incontestablement le territoire américain. Mais le public verrait-il ces zones de cette façon ? Et si le public de Roosevelt se fichait que le Japon ait attaqué les Philippines ou Guam ? Des sondages effectués peu avant l’attaque montrent que peu d’Américains étaient en faveur d’une défense militaire de ces territoires éloignés.
Roosevelt a sans doute noté que les Philippines et Guam, bien que faisant techniquement partie des États-Unis, semblaient étrangères à beaucoup d’Américains. Hawaï, en revanche, était plus plausiblement américaine. Bien qu’il s’agisse d’un territoire plutôt que d’un État, il est plus proche de l’Amérique du Nord et nettement plus blanc que les autres. Pourtant, même lorsqu’il s’agissait d’Hawaii, Roosevelt ressentait le besoin d’en faire davantage. Donc le matin de son discours, il a fait une autre révision majeure : les escadrons japonais n’ont pas bombardé « l’île d’Oahu », mais « l’île américaine d’Oahu ». Roosevelt poursuit en disant que des dégâts y avaient été causés aux « forces navales et militaires américaines » et que « de très nombreuses vies américaines » avaient été perdues. Une île américaine, où des Américains ont perdu la vie : c’est ce qu’il essayait de faire comprendre. Aux Philippines, un journaliste a décrit la scène de Manille alors que la foule écoutait le discours de Roosevelt à la radio. Le président a parlé d’Hawaii et des nombreuses vies perdues là-bas, sans mentionner les Philippines. Roosevelt a fait en sorte que la guerre semble être quelque chose de proche de Washington, et non de Manille.
Ce n’était pas le cas aux Philippines, où les sirènes des raids aériens continuaient de gémir. Pour les Philippins, la guerre était là, au quotidien.